jeudi 22 octobre 2015

La colocation : un mode de logement très prisé même par les gens de droite

Cet article est inspiré d’expériences de colocation vécues, volontairement caricatural à portée humoristique. Aux lectrices et lecteurs en désaccord, ne pas s’horrifier d’un follicule trop clivant, c’est un billet satirique, volontairement exagéré. Car certaines anecdotes de vie à plusieurs sont tellement risibles, stupides voire dangereuses qu’elles méritaient d’être relatées.

Avec la crise économique qui érode le pouvoir d’achat des Français et la spéculation immobilière, les conditions de logement s’étaient déjà fortement dégradées ces dernières années. Trouver un logement dans une grande ville relève d’une mission impossible, surtout pour les jeunes actifs et les étudiants. Il faut souvent montrer patte blanche et monter un dossier de ministre pour occuper une chambre de bonne dans les combles ou un taudis dans une barre d’immeuble délabrée. Afin de jouir de garanties suffisantes, les propriétaires du parc immobilier n’hésitent plus maintenant à reprendre en chœur l’adage bien connu d’Ernesto Che Guevara : « soyons réalistes, exigeons l’impossible ». Un CDI pour chaque parent garant (reliquat d’une époque Trente Glorieuses révolue). Le gouvernement réfléchirait même, dans la loi Dufflot relative à la garantie des loyers, à demander aux grands-parents encore vivants une lettre sur l’honneur autorisant un propriétaire à prélever sur leur épargne un montant afférent aux loyers impayés de leur petit-fils. Une lettre qui deviendrait obligatoire pour prétendre à une location en agence. Il faut aussi un avis d’imposition couvrant cinq fois le montant du loyer et trois mois de caution. Dans ce climat où l’offre de biens est inférieure à la demande, il est désormais aussi vivement conseillé aux candidats de brandir un contrat de travail car les loyers grimpent en flèche. Et les filles sont préférées aux garçons. Pour les moins chanceux, le crédit étudiant et le recours à l’endettement non solvable ont le vent en poupe. Et selon les quartiers, les prix peuvent varier de 20 à 30%. Sous le joug de l’impitoyable dictature de l’offre et de la demande, la colocation se développe ainsi de plus en plus, même chez les gens de droite.
1. La colocation, du partage pour tous au chacun pour soi.
Marion, une étudiante de 24 ans en faculté de Pharmacie raconte : « Quand je suis arrivée à Paris, il a fallu que j’utilise mon réseau personnel pour pouvoir habiter près du 16èmearrondissement. Le salaire de mes parents, chirurgien et radiologue, m’a permis de trouver une colocation avec trois autres copines de la fac mais le temps de monter le dossier, trois appartements nous ont filés entre les doigts. On s’est rabattues sur un appartement de 100 m² avec vue sur la Tour Eiffel mais il reste modeste et trop petit pour y entreposer notre mobilier. J’ai dû laisser mes meubles en ébène chez mes parents à Fontainebleau et acheter du meuble Ikea sur Leboncoin. »
Née des squats artistiques des années hippies, vivre à plusieurs attirait jusque-là des gens avides de partage et de communauté, une jeunesse « roots » et dépravée je-m’en-foutiste. Chômeurs, étudiants, jeunes actifs, la colocation servait majoritairement à partager son temps, se découvrir mutuellement tout en faisant du réseau social. On remplissait les logements de meubles récupérés dans la rue ou bien l’on se donnait entre amis de la camelote rafistolée, du mobilier fait de bric et de broc. Et le logement partagé était un véritable espace de solidarité, d’entre-aide. Désormais, on achète du neuf en kit chez Conforama ou Ikea, tous les appartements s’aseptisent, ont le même design, les mêmes couleurs, les logements s’embourgeoisent. Il n’y a même plus de poussière sur les meubles. Face au manque d’hygiène des locataires bruyants et peu soigneux, les propriétaires se sont mis à exiger de plus en plus de conditions, notamment le refus de louer aux fumeurs, aux chômeurs et la préférence pour les filles. Quid du changement social ? Selon l’agence de notation des locations S&P (Syndics et Propriétaires), ils sont 65% des jeunes vivant en colocation à déclarer que partager son toit permet surtout de faire des économies en profitant d’un espace plus grand. Opérant un calcul coûts-avantages, même les jeunes utilitaristes de droite ont de plus en plus recours à la colocation.
Mais vivre en « coloc » nécessite d’avoir « l’esprit coloc » : respecter ses voisins de chambre, ne pas faire de bruit après 22h, faire des activités en commun, ne pas violer l’intimité et la propriété d’autrui. Face à ce mode de vie où se côtoie un large éventail de profils sociaux, gare aux frictions.
Pour Marion, même un quartier favorisé de Paris ne met pas à l’abri de certains inconforts : « Même dans le 16ème, on entend du bruit après 20h dans la rue quand les bus passent et de surcroît, l’immeuble est sale et bruyant, on entend les jeunes faire la fête le jeudi et le weekend ! Je milite à l’association « Silence dans ma rue ». Avec le collectif nous avons heureusement obtenu du maire d’arrondissement que les gens chuchotent après 22h, c’est un début. Nous aimerions que le service de bus s’arrête à 20h. » « A chaque fois que nous devons recruter un nouveau colocataire pour faire face à un départ, nous sommes obligés de mettre en place des conditions drastiques : fille exigée, active, calme et propre, sportive ne jouant pas d’instrument de musique, travaillant et ne fumant pas ».
2. La colocation, véritable calvaire pour certains.
Chaque colocation possède aussi sa propre manière de fonctionner. Certaines sont communautaires et tout y est partagé entre chaque tête : courses, factures, lessives, sorties, jusqu’aux douches en commun lorsque des couples se forment au cours de l’année. D’autres ont choisi d’être plus individualistes, tout est calibré par tête de pipe : autant de paquets de pâtes et de rouleaux de papier toilette que d’habitants, une télé par chambre, chacun son placard et l’on passe parfois plusieurs jours sans croiser son colocataire qui vit dans sa chambre comme un hamster dans sa cage. Le sentier d’une entente cordiale peut être dur à trouver, on marche sur le fil du rasoir. Les querelles peuvent aller du conflit ouvert au coup-bas le plus sournois.
 Pour Guillaume, étudiant de 25 ans en Master à l’école supérieure de commerce de Toulouse, la colocation était une galère. Repiquant le col saillant de sa chemise, il nous confie : « Au début je m’entendais bien avec mon colocataire. Il faisait un doctorat à science-po, disait travailler beaucoup et faire peu la fête. Le temps a passé, puis il s’est mis à jouer de la guitare en rentrant du labo, à écouter tout le temps des chansons de drogués de gauche, Led Zeppelin, Pink Floyd, Renaud et Brassens, j’en passe et des meilleures. Je n’en pouvais plus de voir les bouteilles de bière vides joncher sur ma table basse et ils fumaient dans le salon avec ses amis. Une fois, je n’en pouvais plus de ses frasques nocturnes, j’ai versé du sel dans son paquet de café moulu. Il s’est vengé en m’ignorant et en faisant encore moins d’efforts qu’auparavant. Excédé, j’ai tenté de le faire expulser auprès de mon propriétaire. Ce dernier a refusé ! »
Pour Amandine, jeune kiné de 28 ans installée à Montpellier, la vie en colocation a été un véritable calvaire. Retirant ses ray-bans, elle nous fait part en logorrhées agressives de sa mauvaise expérience : « Pour moi, la colocation, ça sert à mettre beaucoup de côté pour me faire un bon apport et limiter le coût de mon crédit pour acheter une maison. C’est une solution par dépit en attendant mieux. Rien de plus. Parce que vivre avec d’autres gens, quel intérêt lorsqu’ils sont différents ? Mais comme je suis allergique aux moustiques et que je ne supporte ni le chaud ni le froid, j’ai demandé au propriétaire de me réduire le loyer puisque je ne profite jamais ni de la terrasse, ni du jardin. Il a refusé ! L’un des deux colocs était horrible. L’un était kiné comme moi donc aucun problème. L’autre était pion, il glandait tout son temps à la maison et vivait au crochet des allocations comme un assisté. A trente ans il se gavait d’allocs pendant que moi je travaillais ! Moi mes parents m’ont payé deux appartements avec piscine en plein centre de Nice et j’avais 1500€ d’argent de poche par mois. Ok on m’a beaucoup aidé mais cet argent, je ne l’ai pas volé ! Mes parents ont travaillé au moins pour l’avoir. Lui il mange grâce à la CAF, ses parents sont trop pauvres pour l’aider et en plus il ne travaille pas ! Et alors pour lui faire faire un mouvement…il faut se lever de bonne heure ! Il se déplace du lit à l’ordinateur et du frigo aux chiottes, un rien l’épuise. Pire qu’un chat ! Il est né fatigué ! Être chômeur c’est toujours un choix mais au final c’est pas à moi de nourrir ce parasite ! Moi je roule en cabriolet sport intérieur cuir toutes options, version Roland Garros ! C’est ce qu’il y a de mieux dans la gamme. Lui il prend le tram parce qu’il n’a même pas cinq cent balles pour se payer une poubelle.
Il voyait la colocation comme un espace de partage, il faisait même à manger pour tout le monde ! En plus il buvait mon lait dans le frigo ! J’ai dû mettre du laxatif, prescrit par mon copain médecin, dans mon propre lait pour être tranquille. Ça n’a pas manqué ! Il l’a bu et il a été malade pendant toute une journée, je l’ai bien fait chier ! Je venais d’arriver depuis quinze jours dans la coloc mais je me suis bien marré.
Et puis le vendredi soir il ramenait tout le temps une colonie de deux amis alcooliques gitans, pouilleux et pervers sexuels à la maison, ils faisaient du bruit avec leurs guitares jusqu’à dix heures, ça m’obligeait à m’enfermer dans ma chambre. Franchement quand on rentre le soir d’une journée de 5h et qu’on se lève à 10h le lendemain pour travailler, on n’a pas envie d’écouter un concert de mauvais jazz dans le salon ! En plus, ils picolaient toute la nuit et dormaient dans le salon ! Pour me venger le matin à 8h, j’allumais la télé pour mettre « La Reine des neiges » à fond.
J’ai tenté de liguer ma colocataire contre lui. Mais ils se parlaient beaucoup entre eux et ils se sont mis à me détester. Et puis les discussions…les multinationales sont criminelles, les banquiers ci, les actionnaires ça, il faut supprimer le salariat, instaurer un revenu de base, nationaliser les banques, pénaliser les paradis fiscaux, bâillonner les présentateurs du journal télé et patati et patata…mais va te trouver un travail ! Un soir, lorsqu’il a passé à fond la chanson de Brassens « Le temps ne fait rien à l’affaire », c’en était trop. Je n’ai pas compris les paroles mais la voix, je n’ai pas pu supporter j’ai quitté les lieux du jour au lendemain. »
Face au nombre croissant d’individus violant la propriété d’autrui, le gouvernement a récemment déposé le projet de loi CSSL, loi Cazevide (du nom du ministre de l’Intérieur initiateur de la loi) relative à la surveillance systématique des logements. Le texte propose aux propriétaires d’installer des caméras de vidéosurveillance dans leurs biens et comporte la très controversée mesure de mise sur écoute des smartphones des occupants, pour éviter les vols, le tapage nocturne et veiller à la bonne cohésion des locations. Une aubaine pour les agences locatives, qui risquent désormais d’utiliser la mesure sécuritaire pour augmenter leurs honoraires. Ce projet de loi, voté en catimini et sans débat public par les députés socialibéraux, prévoit une contravention forfaitaire majorée de 150€ en cas d’infraction. Celui-ci a suscité la colère des associations de gauche protectrices des libertés.
« Une bonne idée du ministère, parce qu’il y a tellement d’abus qu’au moins, ça en recadrera peut-être quelques-uns. Le contrôle et la surveillance, c’est jamais très agréable mais au final ça ne dérange que ceux qui ont quelque chose à se reprocher ou qui n’ont pas appris à respecter les autres ! », nous explique Jean-François, jeune cadre employé chez Bouygues.
Dans un contexte où les moins de trente ans souffrent de plein fouet de la crise, du chômage, d’un problème d’appariement entre les compétences des surdiplômés et les postes vacants tandis que d’autres plus chanceux sont très aisés, la traditionnelle bonne ambiance de la colocation bat désormais de l’aile.

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